En cette matinée du 24 décembre 1968, le peuple américain, drapé dans les frimas hivernaux, trotte à l’unisson aux quatre coins des Etats-Unis pour faire provision de dinde et empaqueter les derniers cadeaux.
Au même moment, à plus de 350 000 kilomètres du Pays de l’Oncle Sam, l’astronaute de la NASA William Anders, qui a quitté la Terre trois jours plus tôt avec la mission Apollo 8, est installé dans le module de commande en orbite autour de cette dernière. Aucun être humain n’est jamais allé aussi loin !
Tout en contemplant l’épiderme crevassé de la face cachée de la Lune, qui n’avait jamais été observée jusqu’ici, il songe par moments à ce réveillon de Noël qu’il ne pourra pas passer, cette année, en famille. Pour la bonne cause ! Avec ses compères Franck Borman et James Lovell (futur sauveur de la mission Apollo 13, qui sera incarné par Tom Hanks dans le film éponyme), il est le premier homme de l’histoire à s’arracher de l’orbite terrestre. Bien plus loin que le Russe Youri Gagarine qui, sept ans plus tôt, était le tout premier à naviguer dans l’espace. L’équipage d’Apollo 8 est également le premier à orbiter autour de la Lune. Mieux que la sonde soviétique Zond 5, qui avait réalisé cette prouesse sans être habitée.
Au loin, vient d’apparaître un disque bleu comme ses yeux, semblant émerger de limbes noires. La Terre ! Il empoigne son appareil Hasselblad flanqué d’un téléobjectif de 250 mm, prend tant bien que mal un premier cliché noir et blanc à travers le hublot sale, puis opte pour une pellicule couleur, se rue contre un autre hublot et immortalise finalement le tout premier cliché d’un « lever de Terre ». « Nous avons fait tout ce chemin pour explorer la Lune, mais le plus important, c'est que nous avons découvert la Terre », déclarera plus tard William Anders.
Plus tard dans la journée, les trois astronautes liront des versets de l’Ancien Testament devant le milliard de téléspectateurs qui assiste à leur périple retransmis en direct. James Lovell clôturera par ces mots : « Et de la part de l’équipage d’Apollo 8, nous terminons en souhaitant une bonne nuit, bonne chance et joyeux Noël, que Dieu vous bénisse tous sur cette bonne vieille Terre. »
Ce joli conte aurait cependant pu virer à la tragédie. Quelques heures plus tard, alors que la capsule est censée amorcer son retour vers la Terre, le centre de contrôle au sol perd brutalement le signal avec cette dernière durant plus de 15 longues minutes… La tension monte subitement, on craint un problème au niveau du système de propulsion, qui laisserait les astronautes prisonniers à jamais de l'espace. Le contact reprend soudain.
Explosion de joie dans la salle de contrôle, les clameurs fusent, on s’étreint de toutes parts. L’astronaute Kenneth Mattingly, en charge de la communication depuis le sol, lance en guise de réponse : « Vous êtes mieux placés que nous pour affirmer ça ! ». Avant l’amerrissage triomphant dans l’Océan Pacifique, les explorateurs spatiaux découvriront, aux côtés de leurs vivres déshydratées… de la dinde coupée en tranches, glissée là par les opérateurs de la NASA. Un Noël vraiment très spatial !