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Article
1 octobre 2023
par Benoit Faiveley

Aux origines

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L’été 1971 fut riche en actualité : le président Nixon annonce -et c’est une première pour l’administration américaine- son voyage en Chine. Les Etats-Unis commencent, enfin, à penser à un retrait progressif de leurs troupes au Vietnam. 

La tour Sud du World Trade Center culmine à 415 mètres (sa jumelle est toujours en construction). 162 Japonais trouvent la mort dans la collision d’un Boeing 727 avec un avion de chasse. Au Madison Square Garden, 40 000 personnes se donnent rendez-vous pour assister au concert de charité « Concert for Bangladesh » de George Harrison, l’ex-Beatles.

En France, les vieilles Halles de Paris sont en passe d’être complètement détruites, François Mitterrand prend le contrôle du nouveau Parti Socialiste. Le corps sans vie de Jim Morrison est retrouvé dans son appartement parisien. Évènement presque anecdotique dans le monde : la météo du ciel de France se révèle calamiteuse. Série d’orages et d’inondations sur tout le territoire… en Bourgogne, on grince les dents. Le millésime 1971 s’annonce difficile. En juillet pourtant, la réception d’un télégramme parvient à exciter tout le personnel d’une petite mairie de Côte d’Or. Cette ville, c’est Nuits Saint Georges. Ma ville. 

La petite commune compte 5 000 habitants, elle reste bien plus connue pour ses Crus que pour l’astronome Félix Tisserand, qui y a vu le jour au XIXe siècle. Directeur de l’Observatoire de Paris et de Toulouse, l’homme, fils de tonnelier, entre dans la postérité pour avoir étudié les comètes et introduit le « paramètre de Tisserand », aujourd’hui encore utilisé dans les calculs de leurs orbites. Un cratère lunaire qui jouxte la Mer de la Sérénité a été aussi baptisé en son honneur. 

A Nuits Saint Georges, le collège de la ville porte son nom. 

Curieusement - et toujours au XIXe siècle- une autre mention relie Nuits Saint Georges à l’espace, à l’astronomie. Cette mention apparaît dans la littérature : « De la Terre à la Lune » et « Autour de la Lune ». Le diptyque romanesque de Jules Verne, connaîtra un succès planétaire et fera longtemps référence dans le genre, alors encore balbutiant, de la « science fiction ». De l’épopée lunaire, le Nantais décrit la scène suivante : les occupants du vaisseau spatial (un boulet de canon creux, aménagé et habité) décident de célébrer autour d’un repas, la récente mise en orbite autour de la Lune, « Ardan dénicha une fine bouteille de Nuits, qui se trouvait « par hasard » dans le compartiment des provisions. Les trois amis la burent à l’union de la Terre et de son satellite. Et comme si ce n’était pas assez de ce vin généreux qu’il avait distillé sur les coteaux de Bourgogne, le Soleil voulut se mettre de la partie. » 

La petite ville de Nuits Saint Georges voit donc naître un personnage qui marquera l’astronomie ; discrètement aussi, Nuits sera mentionnée en 1870, dans un roman. Il faudra attendre encore un siècle pour que ces éléments, a priori anecdotiques, se conjuguent, se rejoignent. 

En mai 1971, les astronautes Dave Scott, Al Worden et James Irwin, sont de passage au Bourget. Il leur reste quelques semaines d’entraînement avant le lancement de la mission Apollo 15.

Alors, pour cette vingt-neuvième édition du Salon International de l’Aéronautique et de l’Espace, une Américaine joue des coudes. Mariée à un viticulteur de la Côte de Nuits, elle s’adresse à ses trois compatriotes et les invite en Bourgogne. 

Elle insiste. 

Scott, Irwin et Worden se rendent donc à Nuits. La ville les accueille avec tous les honneurs. Reçus en grande pompe par le maire Bernard Barbier, ils obtiennent de ses mains des bouteilles de la Cuvée « Terre-Lune 1969 » créée en l’honneur du premier pas d’Armstrong et d’Aldrin. Accompagné pour l’occasion du petit-fils de Jules Verne, le maire les met au défi de commémorer l’évènement de « Autour de la Lune », en emportant ces bouteilles lors de leur future mission. 

Personne n’y croit : c’est pour le geste. 

Et pourtant. Fin juillet 1971, un télégramme est réceptionné dans la petite mairie : « Un cratère lunaire que David Scott et James Irwin d’Apollo 15 projettent d’explorer samedi, a reçu le nom de « Saint George ». C’est en l’honneur du cru de Nuits Saint Georges que Scott a donné cette appellation officieuse « non contrôlée » à l’un des cratères les plus intéressants du site d’alunissage ». 

Ma ville, sur la Lune. Il n’en fallut pas plus. Scott, Tisserand et Jules Verne avaient fait de moi un passionné. L’été, quand le ciel est dégagé, il me prend souvent l’envie de lever les yeux. La Lune éclaire de sa lumière pâle le ciel et je m’amuse alors à reconnaître les contours du site d’atterrissage d’Apollo 15, entre les hauteurs du Cratère Archimède, la désertique Mer de la Sérénité et les mal-nommés « Marais de la Putréfaction ». 

C’était tellement irréel : une partie de ma ville, une partie de moi, de mon identité, était là bas. Si le viticulteur travaille sa terre, sublime les fruits qui y poussent, quelques doux rêveurs avaient réussi à l’emmener là haut. Très très haut. A 380 000 kilomètres de là. 

Alors adolescent -et au détour de la lecture d’un magazine- j’appris que les traces laissées par les hommes qui avaient foulé le sol sélène, seraient quasi-éternelles : l’érosion du site étant inexistante (pas d’atmosphère, pas de pluie, pas de vent, une tectonique et activité sismique négligeables), seuls les rayonnements solaires et les micro-météorites auront raison de leurs traces… dans des millions d’années. Des dizaines de millions d’années pour le matériel laissé. 

L’éternité. 

Jeune garçon, le regard interdit par cette temporalité abstraite, je lève les yeux du magazine. Mon regard se porte sur le paysage qui se découpe à travers la fenêtre. La nuit tombe sur la côte. 

Je ne savais pas qu’une graine avait été plantée. La germination de Sanctuary n’allait se faire que bien des années après. 

Elle allait relier deux mondes. A travers trois siècles.